Habillé tout de noir, ma veste en cuir sur l’épaule droite que je tenais à son col, je traversais le couloir réservé aux adultes de l’Académie. Avant de passer devant une porte… La porte avec un grand P. Ce n’est pas spécialement le bout de bois en lui-même qui me fit tiquer, mais le numéro sur celle-ci. Ce n’était pas la chambre de la… Prostituée ? Hm… A cette idée, mon instinct animal s’en retrouva réveillé. Et si nous nous amusions un peu, ce soir ?

Je toquais à la porte. L’animal qui sommeillait en moi grondait, grondait son désir bestial, grondait son impatience. Pourtant, elle ne fut pas longue à ouvrir la porte. Elle sembla surprise de me voir à cette heure si tardive. En même temps, je la comprenais. On ne s’est parlé que rarement alors qu’on est souvent dans le même service. Je lui offris un sourire séduisant avant de lui demander :

« Je peux rentrer ? ».

Pure question de politesse, évidemment. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle réponse non, et je ne l’aurais pas toléré non plus. Je rentrais sans attendre la réponse et pris rapidement mes aises dans ses quartiers intimes en posant pour commencer mon blouson sur une chaise.

« Alors, comment vas-tu ? » lui demandais-je en souriant.

J’aimais cette question. Elle leur donnait l’impression d’être importante à mes yeux. Je baladais mon regard un peu partout dans la pièce, et quand il s’arrêta sur le lit, la pulsion qui m’animait auparavant refit surface. – Pas tout de suite. Fais joujou avec elle avant. Séduis-la, conquéris-la, pour que son cœur n’appartienne qu’à toi ! – Oui, l’idée me plaisait. Une fois de plus, j’allais m’amuser ! Je rêvais d’impatience ! – Fais-toi désirer. – Comptes sur moi ! – Bernes-la ! – C’est comme si c’était fait.

J’attendis la réponse à ma question. Quand elle eut répondu, je lui souris avant d’afficher un visage plus sérieux sans perdre mon sourire.

« Il faut qu’on parle sérieusement… Les rumeurs circulent bon train, ici, tu dois le savoir… ».

Je souris devant son indifférence. Ses cheveux lisses tirés en queue de cheval encadraient son visage fatigué. Être mère, c’était un dur labeur de tous les jours. Je lui témoignais un certain respect pour le parcours qu’elle avait effectué jusque-là et son choix d’être ce qu’elle est aujourd’hui : une jeune maman mutante. Je me surprenais moi-même à penser cela.

« Oh, c’est vrai que tu as une fille ! ».

Je lui souris à nouveau. Braquée comme jamais, elle ne semblait vraiment pas à l’aise en ma présence. Elle jetait de temps à autre des regards sur la table à côté de nous. J’y jetais un œil, moi aussi, avant d’y découvrir un tarot posé au coin. Alors comme ça, elle voulait se servir de son don sur moi ? Je rigolais amèrement.

« Lula… Ais-je déjà essayer de te faire du mal ? ».

J’essayais de la raisonner et de la rassurer. J’étais son collègue depuis peu, m’enfin, je n’avais jamais eu de comportement douteux en sa présence ou essayer de lui faire des avances. Du moins, pas que je m’en souvienne… Je regardais moi aussi sur la table. Un verre d’eau à moitié vide y était posé. Si elle voulait se servir de son pouvoir, je n’hésiterais pas à me servir du mien non plus…

Je vis son Ewig sortir d’une chambre contiguë. Un mouton. Je le voyais souvent avec elle lors des rondes. Normal. Un Ewig était fait pour rester aux côtés de son maître. Enfin… Pas pour tout le monde. Le mien dormait profondément dans ma chambre. Après mon service, le tigre s’était couché, crevé, sur le fauteuil en enroulant sa queue autour de ses pattes.

« C'est vrai, tu ne m'as jamais rien fait mais rien ne t'empêche de commencer ce soir, ce que je te déconseille fortement ».

Elle s’installa sur une chaise derrière elle, l’air un peu plus gai. C’est vrai… Je pourrais commencer ce soir. C’était ce qu’elle souhaitait ?

« Et sinon, ces rumeurs ? ».

Oh oui, elle voulait jouer ! Son sourire éveilla mon envie de m’amuser, moi aussi. Je rigolais. Elle voulait prendre du bon temps ? Se détendre après une longue journée de travail ? Oh ! Je n’attendais que ça. Elle ne semblait même pas répugnée. Je m’avançais vers son lit et m’y assis sans gêne.

« C’est vraiment ce que tu veux ? », lui demandais-je avec un sourire innocent. « Tu aimerais que je commence ce soir ? ».

« C'est bien ce que je pensais, tu me prends pour une idiote. Si tu n'as rien de mieux à me dire, j'aimerais regarder mon film ».

Elle s’était levée et semblait déçue. Une idiote ? Je prenais mes proies pour des idiotes, des bimbos. Elle ? La prenais-je pour ma prochaine victime ? Pensait-elle que je voulais abuser d’elle ? J’évitais dans ces lieux, et je ne choisissais en général pas des mutantes résidant ici. Je me levais à mon tour et me plantais face à elle.

« Lula… ».

Je poussais un soupir. La tâche pour rétablir la situation allait être compliquée si elle ne me comprenait pas. Nous n’étions pas vraiment sur la même longueur d’ondes, mais… Je voulais apprendre à la connaître. Qu’aimait-elle ? Que faisait-elle de ses soirées ? Quelles étaient ses activités préférées ? Je voulais que tout son être m’appartienne. A moi et à moi seul.

« Pour commencer, je ne te prends pas pour une idiote. Ensuite, je n’essayerais pas de profiter de toi. Tu sais, j’ai encore un minimum d’intelligence pour laisser les filles et les femmes de l’Académie tranquilles… ».

Enfin, jusque sur une femme rencontré à la piscine, mais je me gardais bien de lui dire. De plus, il ne s’était rien passé avec elle. Nous avions juste livré un combat entre esprits malsains et dérangés. Je dois avouer que j’étais bien moins innocent face à elle que face à Lula. Va savoir pourquoi. En fonction du personnage, on s’adapte. On se calque sur ses mouvements, sur son état d’esprit, sur ses envies. Et pour en revenir à la surveillante, c’était son envie de s’amuser qui m’avait conduit jusqu’ici. Je souris sans m’en rendre compte. Certaines personnes veulent faire partie d’un autre monde. D’un monde plus malsain, où la tentation est à tous les coins de rue. Elles désirent se faire désirer, se faire tenter pour se sentir aimées.

« C’est comme ça, quand on veut jouer ma belle… On ne gagne pas toujours ».

Je marquais un temps d’arrêt. Mon sourire n’avait rien d’innocent, bien au contraire. Je pris son menton entre mes doigts et le relevais pour planter mon regard dans le sien. Elle ne semblait ni bouleversée, ni heureuse, ni mécontente. J’imaginais qu’elle devait déjà avoir eu de nombreux hommes à ses pieds, en tant qu’ancienne prostituée. Par conséquent, elle connaissait déjà chaque jeu de drague. Mais je voulais qu’elle frissonne sous mon contact, qu’elle réclame ma présence, qu’elle me supplie de lui faire un enfant ! Je voulais qu’elle soit dépendante de mon corps, de mon cœur, de mon âme. J’effleurais sa bouche de mes lèvres avant de les rapprocher de son oreille pour lui susurrer d’une voix mielleuse :

« Tu m’as fait part de ton envie de t’amuser. Assumes, je n’attends que ça… ».

« Ecoute Rune, je te le répéterais une fois mais pas deux : ma fille dort à côté. Je n'aurais pas dû... ».

Pensait-elle pouvoir me foutre à la porte comme ça ? Avec une excuse si peu convaincante et aussi peu de conviction ? Car sa voix n’était pas des plus autoritaires. Non, bien au contraire. Elle joignit le geste à la parole en s’éloignant de moi. Elle me fuyait, parce qu’elle avait peur. Je souris. Elle avait peur de s’attacher. Peur de l’avenir. Peur de subir le même sort qu’avant.

« Je peux t'offrir à boire si tu veux mais ça n'ira pas plus loin... »

Boire ? Oui, j’aimais boire. Je tenais bien l’alcool. Mais ce n’était pas ce que je souhaitais ce soir. Je la voulais, elle. Qu’elle soit à moi. Je voulais la conquérir. Je la voulais toute entière. J’essayais de capter son regard. Plus que jamais, elle semblait… Troublée. Deux mondes s’affrontaient. Deux arguments s’opposaient en son for intérieur. Je m’avançais. Elle recula. Je m’avançais. Elle recula. Je m’avançais. Elle recula. Je m’avançais. Ce petit jeu aurait encore pu durer longtemps, si nous étions à l’air libre. Seulement voilà, la chambre était petite. Si bien qu’elle se retrouva rapidement dos au mur, et moi de fondre sur elle tel un prédateur.

« De quoi as-tu peur, Lula… ? ».

Mon sourire en coin, je ne comptais pas m’arrêter là. Pousser les gens à bout afin qu’ils se remettent en question, beau jeu, non ?

« Es-tu sûr que c’est de moi que tu as peur, ou… Est-ce juste un prétexte ? Car si c’est juste ta fille qui t’inquiète, nous pouvons très bien aller dans ma chambre… ».

Un gamin ? Certes, il est vrai que nous avions quelques années de différence, mais à vingt-cinq ans, on n’est pas mûr non plus. On n’a pas encore découvert toutes les possibilités que nous offre la jeunesse. C’est vraiment ainsi qu’elle me voyait ? Mais pour quoi se prenait-elle ? Elle voulait s’amuser deux minutes plus tôt et maintenant elle me reprochait de lui faire des avances. Légèrement contradictoire. Etait-ce moi qui la mettais dans tous ses états ou était-elle toujours lunatique ?

« Alors vas-y. Expliques-moi comment tu t’amuses. Je sais m’adapter ».

Je lui offrais un sourire mystérieux. Oui, si nous ne nous amusions pas de la même façon, j’étais curieux de s’avoir comment elle aimait s’amuser. Ivre ? Drague ? Sexe ? Il existe diverses manières de jouer et de rendre ce jeu agréable. Et j’allais bien trouver ce qui lui plaisait. Mon ton changeait de registre. Non plus mielleux, mais autoritaire et tout aussi froid.

« Lula, tu m’écoutes quand je te parle ? Je t’ai dit que je ne voulais pas coucher avec toi ».

Je rigolais. Qu’allait-elle s’imaginer ? Que j’étais vraiment assez débile pour abuser d’une mutante ? Ou pire… Que j’étais assez abruti pour m’attacher ? Non, je tenais encore un minimum à mon poste, à ma seule source d’argent. Et puis tous les soirs, c’était abusé, c’est le cas de le dire. Seulement quand je ne travaillais pas le soir…

J’avais l’impression que l’on s’engueulait comme un vieux couple. Et j’aimais ça. Je souris doucement. Un couple. Ce mot sonnait bizarrement à mon oreille. Il est vrai que je privilégiais les relations d’un soir et que je n’ai jamais eu envie de m’attacher à quelqu’un. Ni par amour, ni par amitié. Question de survie.

« Et si je n’étais pas venu pour ça ? ».

Je me rapprochais d’elle. Je n’avais pas pour intention de lui faire peur, ni de la dégoûter ou quelques autres choses malsaines. Non, je voulais juste l’amadouer… Elle ne devait pas rester indifférente la prochaine fois que je la croiserai dans le couloir, ni quand je lui jetterai un regard entendu. Non tout ça ne devait pas arriver. Je me plantais en face d’elle, le regard pétillant de malice mais avec cet air que je voulais rassurant.

« Admettons que je sois venu pour… Toi. Pour te connaître ».

Je replaçais une de ses mèches rebelles derrière son oreille d’un geste tendre. Je ne voulais pas me prendre la tête avec elle. Ni avec personne. Je voulais juste… Profiter de la vie.