Un léger vent souffle proportionnellement au aller-retour d’une boule de poile. C’était évidemment Orswin qui piquait du nez à une heure avancée pour ce jour d’hivers. Pourtant, il n’était pas seul, puisqu’en effet, son cher protecteur en faisait de même un peu plus loin sur le canapé. Tout ceci était très professionnel mais ce sont des professionnels. Pourtant, le silence presque religieux dans la boutique fut soudainement interrompu par une sonnerie stridente, amplifié par la soudaine prise de conscience des deux larves.

Faut vraiment penser à enlever cette cloche de malheur !

La souris fut la première à se lever, suivit de peu par son maitre. Ce dernier se mit difficilement sur ses pieds puis se prépara en quatrième vitesse pour se rendre vers l’avant salle.

Tiens toi aussi tu dormais, ce n’est pas comme ça que ton chiffre d’affaire va augmenter.

Ce petit être était un vrai casse-pied, toujours aussi direct et impoli.

Si tu tiens à me faire des commentaires, justifie ton pain. Et puis je ne dormais pas, je méditais.

La souris précédait son hébergeur de peu, tout en prenant soin de ne pas se faire remarquer par le type en short. A sa façon de marcher, il n’aimait pas la situation. En plus de se faire rappeler à l’ordre sur sa paresse, il y avait un truc chez le nouveau venu qu’il ne pouvait pas sentir.

Si je retourne dans la rue, mes chances de survie entre les maladies, les prédateurs et la faim, diminuera et par conséquence la tienne aussi. Ce qui signifie, pauvre crétin, que si je meurs, toi aussi. C’est suffisant pour justifier mon pain.

L’horloger étouffa un rictus et ignora son Ewig pour se concentrer sur son distributeur de monnaie ambulant qu’était son client. Il se montra alors le plus commerciale possible.

« Bonjour, que puis-je faire pour vous ? »

Le jeune homme était un grand type (pour dire, à côté de John, ce n’est pas difficile) avec un pull large et un short. Comment peut-on se trimballer ainsi en hivers ? Il va tomber malade à coup sûr. Mais qu’importe, cela ne le concernait pas. Même si John était assez intrigué par son client, il avait une impression de déjà vu et l’allure de métalleux ne faisait que lui rappeler Erwan. Si cela se trouve, ces deux-là se connaissent, mais il vaut mieux attendre avant de poser des questions. La politesse fait qu’on ne submerge pas de question à un homme qui vient à peine d’arriver, au risque qu’il s’en aille. Et l’horlogerie n’était pas en position pour perdre un client. Ainsi, le Bouddha improvisée se tut et attendit patiemment la commande de son client.

John fixait la girouette ambulante qu'était son potentiel client, attendant la requête à répondre. Vu la fascination que son interlocuteur portait à l'égard de ses vieilles babioles, le vieux dinosaure s'attendait déjà à devoir emballer une horloge tandis qu'Orswin faisait le compte du nombre de fromage qu'ils pourront acheter avec la somme qu'ils recevront.

J'espère qu'il achètera la vieille horloge de ton grenier, avec ce fric on pourra se payer une bonne centaine d'emmental hèhèhè.

On pourra surtout payer le loyer et les factures oui.

-Heu... oui bonjour. Je... je suis venu pour prendre des informations. Vous...

Des informations ? Encore un truc qui ne rapporte pas, mais si ça se trouve, il était venu pour faire des repérages. Evidemment, c'est pour ça qu'il tournait comme un attardé, il prenait ses points de repère pour acheter une horloge ou une montre pour l'offrir à sa copine ou la mettre chez lui. Du moins, c'est ce qu'espéraient du fond du coeur, John et Orswin.

-Vous prenez de la main-d’œuvre ? Je cherche un boulot à côté de mes études à Eternal Time et... Je me disais que je pourrais travailler ici.

Un vieil homme bouche bée et une souris imitant un poisson se tenait derrière le comptoir. Ce n’était pas la meilleure réaction à avoir, mais ils ne purent faire autrement. Leur idyllique espoir venait de se briser comme une aiguille ce fend. Si la souris était cachée du public et pouvait donc conserver une apparence d’abruti, l’horloger, lui, devait se reprendre.

-Tss…, de 100 gruyères, je passe à -100 là, dit non ! En plus, y’a un truc qui ne me plait pas chez ce type.

Le vieux gérant prit en compte la remarque de son Ewig. Si cette foutu bestiole était agaçante au plus haut point, elle ne possédait pas moins un très bon instinct que l’horloger avait constaté au fil des années à vivre avec lui. Ainsi, instinctivement, il traduit les différentes possibilités qui pouvaient amener le rat de laboratoire à faire une telle remarque. Le premier facteur était sans nul doute le sexe du demandeur d’emploi puisqu’à ses yeux, tous les hommes étaient des rivaux sur le marché de la femme…sauf les gays. Quoiqu’il en soit, ce critère proscrit, il ne restait plus que la nature du metalleux qui pouvait représenter une menace. En conséquence, l’homme d’affaire posa la question piège de manière le plus neutre possible.

-Avant de parler d’emploi, il y a une chose à éclaircir. Êtes-vous humain ou mutant ?

John prit le soin de ne pas révéler sa position à travers sa voix ou son regard. De ce fait, l’homme en short ne pourrait pas définir la bonne réponse à opter pour pouvoir postuler à un poste. Si la balle était dans le camp de l’étudiant, c’était John qui avait les cartes en main. En effet puisque lui seul connaissait la bonne réponse qui décidera du sort du jeu. L’horloger pouvait donc savoir s’il avait en face de lui un humain, auquel cas il faudrait cacher Orswin pour éviter de paraitre négligé (mais vu la poussière de l’arrière-salle, c’est raté)  ou pour éviter que le point de vue de l’humain face au mutant ne mette à mal le boulot. Tandis que si c’est un mutant, Orswin pourra bouger librement sans être enfermé dans une cage pour paraitre domestiqué. Il était donc incontestable que cette information capitale présentait un véritable avantage au vieux hibou et un vrai enjeu pour le postulant. C’était, en effet, un vrai coup de stress pour chaque candidat ayant à faire face à une telle question puisque si son futur employeur était un humain face à un mutant, il pourrait avoir des préjugés. A l’inverse, un humain face un employeur mutant, cela risquerait de poser un problème au niveau de l’Ewig, n’ayant pas coutume d’en fréquenter, surtout que l’animal pouvait se révéler flippant ou intolérant devant une novice humaine.  Stratégiquement parlant, cette question était, donc,  parfaite pour éviter les éventuels conflits. Heureusement qu’Orswin le lui avait suggéré il y a de çà, des années.

Sous une cascade de tic-tac quotidien, John attendait silencieusement, laissant cette question stratégique se poser de tout son poids sur les épaules du pauvre candidat.

Un désagréable sifflement sorti du jeune étudiant, fort surpris de la question qui venait de se poser. Soudainement agacée, il en oublia la pensée et répondit à voix haute ce qui était destiné à être tout bas.

-Rocky la ferme!!

Seul le plus crétin des idiots n'aurait pas deviné la situation. Un mutant faisait face à l'horloger et son Ewig était loin d'être sympathique. A en juger par le bruit qui devenait de plus en plus insistant, l'Ewig était de nature reptilienne et plus précisément de Serpentard.

-Mutant. Je comprendrais donc que vous n'acceptiez pas monsieur.

La souris frissonnait au bruit agaçant du reptile et pria de tous les dieux qui voudront bien l'entendre que son maitre ne le foute pas devant le nouvel arrivant. Néanmoins, Orswin n'était pas idiot, n'ayant aucune confiance en Dieu, il tenta une percée à travers la paperasse du comptoir pour s'éloigner le plus possible du prédateur. Malheureusement pour lui, son maître n'avait que faire de ces états d'âmes et la saisie sans ménagement par la queue.

-Le fait est que vous soyez mutant n'est absolument pas un problème. Par contre, la nature respective de nos Ewig l'est. Répondit le vieux marchand en montrant une souris blanche.

Pense un peu à moi, fuckin' grand-père, tu veux que je me fasse gobé par ce fichu serpent ou quoi ? Lâche-moi, je sais que c'est décevant, on perd de la main-d'oeuvre. Je reconnais que vu tous ses cheveux, on aurait pu en faire une femme de ménage, ça lui aurait allé à merveille mais ce n'est pas de ma faute à moi si on tombe toujours sur des Ewig mangeur de souris. Eh ouais vieux, tu vas devoir t'y faire, on n'obtient pas toujours ce qu'on veut dans la vie. T'as eu une souris pour Ewig et moi je t'ai eu toi, je ne te dis pas comme c'est déprimant.

Ne voulant pas laisser le rat s’en sortir comme  il voulait, John l’emprisonna dans sa main, l’obligeant ainsi à avoir les chocottes de sa vie en restant près d’un carnivore. Malgré le fait qu’Orswin savait que son maître, aussi sadique soit-il par moment, ne le laisserai pas être mangé comme un vers se fait gober, il n’en restait pas moins nerveux.

«Je suis désolé monsieur, mais vous comprendrez donc que je ne puis accéder à votre requête. Néanmoins, si je puis faire autre chose pour vous, dans la mesure du possible, je le ferai.» Conclu John en se référant aux Ewig pour la dernière partie de la phrase.

De bout en bout, l’horloger garda un discours courtois et commercial, malgré la peur déraisonnable que lui transmettait son animal de compagnie.

-Je comprends... Vous savez... Oh Rocky ? T'es pas censé rester dans mon t-shirt?

L'air de rien, une grosse tête de serpent sortie du sweat de l'étudiant. De la montée de ce reptile, la panique s'instaura, autant dans le cœur du rat que dans celui de son maître.

La vache, il ne pouvait pas avoir un petit serpent comme tout le monde ? Et comment il fait pour avoir ce truc autour de la taille, c'est super flippant.

C'est super flippant oui. J'ai un cobra dans ma boutique ! Tonnerre de Brest, ça ne va pas faire avancer mes affaires ça ! Oh mais shit alors, c'est venimeux ces bestioles-là ?

oh oui, t'as pas idée.

Oh shit, paix à mon âme, on va tous mourir

Si pour Orswin cela ne se reflétait pas beaucoup, le vent de panique était, par contre, particulièrement marqué chez l'irlandais qui fixait avec crainte, le reptile.

-Genre !! J'te crois pas langue de vipère. Désolé monsieur pour mon ewig. Il n'aime pas l'autorité.

John n'avait pas compris à quoi répondait son dangereux client, n'ayant entendu qu'un sifflement venant du serpent. Par contre, il entendit très bien la fin de la phrase de son interlocuteur ce qui était loin de le rassurer.

Paniqué, l'horloger resserra son étreinte sur son Ewig, près à reculer et hurler comme une fillette au moindre mouvement suspect du cobra. Mais l'ennemi se détourna et s'apprêta à s'en aller.

On va peut-être survivre en fait...

-Je vais donc... oh...

L'homme s'arrêta devant une vieille et grosse montre Breguet qui était à la fois belle, ancienne et chère.

ou pas...

-Elle... elle vient d'où?

«Euh, de Barcelone en Espagne, je l'ai eu lors de l'un de mes voyages. »

Orswin bougeait nerveusement sa queue, montrant le niveau de crainte qui l'assaillait tandis que son maître gardait son professionnalisme malgré la peur et surtout la curiosité qu'il ressentait. Il ne pouvait décidément pas interroger son client sur la raison d'une telle question. Il attendit alors, espérant que son client veuille bien dépenser la somme particulièrement élevée de la vieille montre même si en même temps, cela signifiait s'approcher du cobra insolent.